mardi 17 décembre 2013

Novembre renait dans le Dahra

Encore une fois, la région du Dahra a été au rendez-vous de l’histoire en accueillant dans une grande ferveur des historiens et des historiques pour évoquer les crimes coloniaux.

Accompagné de Salah Eddine Arif, son collègue à l’université d’Evry, l’historien Olivier Le Cour Grandmaison, spécialiste des massacres coloniaux, s’est rendu sur les lieux les plus symptomatiques des carnages, à savoir la grotte de Ghar El Frachih, non loin de Nekmaria. Cette visite était très attendue eu égard à la participation remarquée du jeune historien français à la restitution de ces crime abominables commis les 18 et 19 juin 1845 sur la tribu des Ouled Riah. Arrivés sur le site dont la réhabilitation est en cours, les deux universitaires, aux côtés de Senouci Ouddan de la fondation Emir Abdelkader, se sont longuement recueillis face à la grotte où gisent plus de 1500 cadavres calcinés. La visite s’est poursuivie au centre de torture de Sidi Ali et à travers le Dahra.
Les nombreuses salles de torture, la présence de maquettes grandeur nature, le bruitage mimant parfaitement les atrocités commises durant la guerre de libération ont fortement impactés les visiteurs qui eurent beaucoup de peine à maîtriser leurs émotions.
La présence sur les lieux d’un groupe d’écoliers a ajouté à la dramaturgie de la situation. La visite s’est ponctuée par la rencontre avec Bendhiba Benlhamiti, l’un des derniers survivants de l’attaque de la caserne de gendarmerie de Sidi Ali, la nuit du 1er Novembre 1954.
Là encore, le précieux récit de la préparation des militants, de la rencontre avec Benabdelmalek Ramdane, de l’ultime réunion de ce dernier avec Amar Bordji et des préparatifs de l’attaque ainsi que son déroulement ont fait grande impression sur les universitaires.
Intervenant tour à tour, Olivier Le Cour Grandmaison et Salah Eddine Arif parleront respectivement sur le code de l’indigénat et les causes économiques du colonialisme français en Algérie.
Répression
L’historien français parlera avec grande aisance de l’aspect «méthodique et administratif» des massacres commis sur la population algérienne par l’occupant depuis le 19ème siècle et qui se perpétua jusqu’à cette sanglante répression des 17 et 18 octobre 1961, au cœur même de la capitale française.
C’est avec minutie que le conférencier égrenera les massacres collectifs, les incessantes razzias, les viols, les représailles collectives commises en application de l’abject concept de «la responsabilité collective», les séquestres de biens et des terres collectives dont les tribus rebelles seront chassées et délestées. L’historien français mettra en balance les divergences entre les discours savamment entretenus de la patrie des droits humains, de l’égalité et de la fraternité et les affres du système colonial.
Sur un ton grave, Olivier Le Cour Grandmaison se demandera comment un Etat qui rend la justice au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité est parvenu à ériger ce monstrueux code de l’indigénat par lequel il parviendra à déposséder les populations autochtones de l’Algérie de leurs terres mais aussi de leurs droits humains les plus élémentaires, loin «des principes démocratiques et républicains». Il soulignera avec gravité que ce droit sera appliqué à la totalité des territoires colonisés, ajoutant que «ce code raciste sert de matrice aux lois réprimant l’entrée et le séjour des étrangers en France».
Interviendront ensuite Mohamed Ghafir et Saïd Benabdallah, deux authentiques révolutionnaires, à Paris pour le premier et dans la région de Saïda - où il affrontera les paras du sanguinaire Bigeard -, pour le second. Mettant à profit cette rencontre, Med Ghafir, alias «Moh Clichy», redoutable organisateur des manifestations du 17 octobre 61, après avoir vivement remercié les deux conférenciers pour leur engagement tenace et régulier pour faire connaître la juste cause de l’Algérie, remettra à chacun d’eux «au nom de mes compagnons de lutte» précisera-t-il, une médaille de reconnaissance.
Prenant la parole, «Moh Clichy», debout comme il le fit le 8 octobre 1958 devant le tribunal parisien qui le jugeait, déclamera la déclaration rédigée par le GPRA : «Nous déclinons la compétence des tribunaux français. Quel que soit votre verdict, nous demeurons convaincus que notre cause triomphera parce qu’elle est juste».
Une standing-ovation ponctuera cette intervention que personne n’attendait, sachant que c’est par un simple concours de circonstances qu’invité à l’ultime instant par le Professeur Arif, Med Ghafir est arrivé la veille de la manifestation.
Très critique à l’égard de l’historiographie officielle qui continue d’occulter la lutte et l’apport multiforme de la 7ème wilaya à la guerre de libération, l’orateur brandira le portrait de la jeune lycéenne Fatima Bedar, noyée dans la Seine par la police du sinistre Maurice Papon. 


vendredi 13 décembre 2013

Un séisme nommé Sellal




Intervenant depuis Aïn Témouchent, le Premier ministre est revenu 24 ans en arrière. Portant  un jugement sévère sur Mouloud Hamrouche et sur son gouvernement de réformateurs.
 ça donne un procès en règle :
« Le laxisme du gouvernement de l’époque vis-à-vis de ceux qui ont voulu porter atteinte aux constantes et aux fondements nationaux a failli mettre en péril le pays », ajoutant que « ce comportement qui avait plongé le pays dans une spirale de sang et de violence », pour ensuite inviter les Algériens à ne pas oublier cette tragédie nationale. Du meme coup, Sellal encense l’action de son mentor, soulignant que « Abdelaziz Bouteflika a mesuré plus que quiconque l’importance de l’unité nationale lorsqu’il a proposé la réconciliation nationale pour éteindre le feu de la fitna et a tracé, à travers les programmes de développement successifs, une voie pour la relance du pays au profit de la majorité du peuple ».
 Il faut souligner que ce discours d’Ain Témouchent ne relève nullement de l’improvisation, un exercice dans lequel excelle Abdelmalek Sellal. Cette déclaration est contenue dans un discours écrit puis distribué à la presse. Son auteur mesurait donc parfaitement l’intérêt et la portée de son  message à seulement 4 mois de l’élection présidentielle.
 Le Premier ministre, ne se contente plus de soutenir Bouteflika. Désormais, il s’attaque à ses propres concurrents. Il n’aura échappé à personne que l’ex chef du gouvernement Mouloud Hamrouche n’est pas de ceux qui louvoient lorsque l’appel profond du pays retentit, car lui a de qui tenir…Même si l’information n’est pas confirmée par le principal intéressé, sa candidature à la plus haute magistrature du pays ne laisse planer aucun doute. Et s’il fallait une preuve, la tempétueux Sellal vient de nous l’administrer à  partir d’Aïn Témouchent.
...rappelons qu’au départ (septembre 98) à la démission de Zéroual, Bouteflika émarge avec le "système" pour mener à terme la réconciliation d'avec les groupes islamistes ainsi que les politics de la mouvance FIS...c'était le contrat initial, consistant à faire ce que Zéroual a refusé de cautionner...mais personne n'a parlé de la contrepartie...que le système a concédé...là, moi je crois que la suite du programme c'est Bouteflika qui l'a écrite tout seul...et qu’il l'a imposée aux militaires...avec dans ses manches de sérieuses cartes que les militaires ont dû accepter sans broncher...dès le premier mandat, des actions de diversion ont été menées par "le clan présidentiel" avec des acteurs connus puisque certains sont devenus ministres et d'autres moins visibles mais tout aussi puissants...la sphère s'est alors enrichie d'une nouvelle faune chargée du partage de la manne pétrolière...et de la contamination des principaux centres de décisions...arrive 2004, le Général Med Lamari, appuyé sur Khaled Nezzar, entame une approche avec comme fer de lance Ali Benflis...avec les résultats que l'on sait: Benflis laminé et Lamari destitué après l'affront subit devant témoins lors de l’accueil d'Alliot-Marie (ministre française de la défense) par Yazid Zerhouni...en sa qualité de ministre de l'intérieur...c'est ça la force de Bouteflika! il tient des cartes "maitresses", mais ce sont les termes du deal de 98 qui ont été revisés sans que l'autre partie ne parvienne à imposer une autre alternative...donc nous sommes bien obligés de conclure que même malade et amoindris, Bouteflika a eut l'intelligence de jalonner voire de "miner le territoire"...obligeant les uns et les autres à se tenir à carreaux...d'où cette insoutenable incertitude qui fait de notre pays, un berceau des illusions perdues...Sellal vient de nous en administrer la preuve…mais ne gâchons pas cet instant de rare félicité par lequel, par la voie la plus audible du moment, on apprend que non seulement Mouloud Hamrouche continue de faire peur mais qu’en plus il est candidat…les bouffons ont cette particularité de faire rire, mais également de ne dire que des vérités…alors apprécions ces instants à leur juste valeur…un séisme vient encore une fois de frapper à Aïn Témouchent, attendons la fulgurante réplique à Alger…

jeudi 7 novembre 2013

Deux roses rouges pour novembre




En dépit d’un été persistant, à 7 heures du matin, il est rare de trouver une boutique ouverte à Mostaganem, Surtout si c’est par jour férié et davantage quand il faut fêter un évènement fondateur de l’Algérie libre et souveraine. Pourtant c’est la triste déconvenue qui m’est arrivé vendredi 1er Novembre. La veille, en compagnie de Norddine Boulahaouat, de Djamel Benmiloud et de Wahab Mokhbi, nous avions déjeuné dans un restaurant encore valide au niveau des Sablettes. Les retrouvailles avec Nordine Boulahouat ne sont jamais banales ; surtout après bientôt 30 années de séparation. Je l’ai connu en janvier 71, tandis que nous entamions un cursus à l’ITA de Mostaganem. Avec Djamel et Wahab, nous avons fêté son retour autour d’une belle assiette de poissons et de crustacés comme seule la corniche de Mosta sait en offrir. C’est donc sous un soleil splendide, et en plein air que nous avons longuement devisé. Au point de devoir partir en trombe pour ne pas rater un rendez-vous important à l’université. Après une brève et studieuse rencontre autour des préoccupations indigènes en matière de développement intelligent, je me fais déposer à la maison peu avant 17 heures. Ce n’est que vers 20 heures, grâce au journal télévisé que je m’aperçois que je n’avais pas téléphoné au seul fleuriste encore valide de Mostaganem. Nuit de cauchemars et de songes que celle de la Toussaint. J’avais comme un pressentiment que ma gerbe de fleur ne sera pas disponible et je regrettais déjà d’en avoir parlé autour de moi. Je rappelle Senouci Ouddan pour confirmer notre rendez –vous de 8h30 du matin. Djamel et Nordine seront de la partie, personne ne connaissait encore la grotte de Oued El Frachih, dans les confins du Dahra. Nous avions convenus de partir à 4 fleurir la tombe de Benabdelmalek Ramdane au cimetière de Sidi Ali et poursuivre vers Nekmaria via Naïmia. Toute la nuit je pensais au bide de la gerbe de fleur et je priais que le fleuriste soit ouvert tôt le matin. Sommeil très court entrecoupé  de multiple éveils, le jour commence à se lever, il est déjà 7 heures et je n’ai qu’une idée en tête , trouver une gerbe de fleur. A 7 h30, je suis devant la place de l’hôpital, dans le contrebas du quartier de Matemore. Je contourne la place bien vide et je tourne à droite pour remonter vers Tigditt. 

Dès que la rue apparaît, je n’ai aucune peine à voir les grilles encore baissées de mon fleuriste. Je continue mon chemin jusqu’à la crête où je surprends Senouci qui se désole de ne pas être prêt ; normal c’est moi qui suis en avance et toujours sans fleurs. Je remarque des bouquets de Bougainvilliers débordant de la résidence du directeur de l’hydraulique…je suis tenté de me servir mais j’ai la crainte de me faire surprendre par le gardien. C’est alors que je me souviens avoir planté un Bougainvillier aux couleurs flamboyantes chez mon ami Senouci. Je sonne alors à la porte et je me retrouve dans le jardin où trône au fond du mur, tout juste derrière un citronnier, une superbe gerbe de mon bougainvillier. Celui ramené depuis Nairobi par Aïssa Abdellaoui et qui sera multiplié grâce à la serre que j’avais installée à l’ITA de la main de Rabah Zaoui qui ramena dans ses bagages quelques boutures depuis le jardin du Hamma.  Devant mes amis ébahis, j’enroule les lianes de lierre et je dispose une à une les branchettes de Bougainvillier, très vite la couronne prend une bien fière allure. Les 6 roses sont rapidement installées dans le décor et nous partons vers Sidi Ali. Dans ce village haut perché, le défilé est déjà bien en route vers le cimetière. Nous prenons une bretelle et en moins de 3 minutes nous sommes à deux pas du cimetière où se dresse une foule immense. Des deux cotés de la route, les collégiens brandissent fièrement l’emblée national. C’est dans une ambiance colorée et joyeuse que nous montons les marches qui mènent au carré des martyrs. Dans la foule bigarrée, je reconnais Bendehiba Benhamiti qui faisait partie du groupe qui a attaqué la gendarmerie de Cassaigne, la nuit du 1er Novembre 1954.  Une rangée de sapeurs pompiers se tient devant la stèle. La gerbe que porte fièrement Senouci est déposée sur la tombe de Benabdelmalek Ramdane, le premier chef politico militaire à tomber au champ d’honneur. Je fixe en image mes trois compagnons qui avaient de la peine à cacher leur émotion. Pour eux trois, c’est la première fois qu’ils viennent sur ce lieu de mémoire. Je les sens très fébriles ; même chez Nordine, connu pour sa forte carapace, on devine de suite qu’il marque le coup. Lui aussi prend le soin d’immortaliser l’instant. La foule compacte est impressionnante de dignité. Bendehiba Benhamiti qui est l’un des derniers survivant de cette glorieuse nuit de Novembre 54 n’affiche ni fausse fierté ni ostentation. Je me tourne une dernière fois vers la gerbe d’où émerge la couleur écarlate des roses rouges ; des clichés sont expédiés quasiment à la sauvette…en quittant le cimetière pour rejoindre le chemin de Nekmaria, nous croisons le cortège des officiels, juste le temps de saluer Guermat, le nouveau maire de Sidi Ali qui conduit la procession. Sur le chemin sinueux qui mène vers Nekmaria nous nous arrêtons pour des clichés de figuiers encore en fruits…traversée du douar Chkarnia et descente douce vers la grotte. Des dizaines d’écoliers, casquettes rutilantes sur la tête,  occupent dans un désordre enfantin l’immense esplanade faisant face à la fresque. La visite de la grotte est effectuée comme s’il s’agissait d’une carrière désaffectée. Nulle trace du moindre respect, ni du moindre recueillement, s’agissant d’un lieu de mémoire où gisent par centaines les Ouled Riah. Sur la colline où Pélissier avait installé son QG, les bus bondés continuent d’entamer la descente. Même les gardiens affectés à la surveillance du site brillent par leur effacement. Le site mérite bien la présence d’un guide. Ces enfants lâchés seuls à travers les escaliers en lacets qui mènent vers la grotte sanctuaire, la grotte ossuaire, la grotte mortuaire, oui ces enfants méritent d’être informés de la sacralité des lieux. Autrement, pour le tourisme, la visite de la plage de Sidi Laadjel suffirait amplement à leur bonheur. Avec un peu de curiosité, ils pourraient remonter le lit de l’oued Zérrifa, découvrir les flaques d’eau peuplées de grenouilles et de têtards...autant j’éprouve une petite sensation de bonheur à voir autant de monde venir à la grotte de Nekmaria, autant je me dis qu’une visite en forme d’une banale promenade ne sied pas à ce lieu mémoriel. Les jeunes garçons et filles qui défilent comme s’il s’agissait d’un pique nique ont besoin d’être informé…si chacun ramenait une fleur, peut être aura-t-il que l’endroit est surtout un lieu de recueillement, pas de villégiature…
Une très longue histoire que ce Bougainvilliers qui vient de s’enorgueillir De suite je me mets à rassembler des branchettes fleuries, et en quelques minutes, j’ai déjà une belle gerbe. Un vieux asparagus me facilite grandement la tache, avec ses longues et épineuse pousses, je façonne déjà une couronne que je maintiens à l’aide de longues lianes de lierre. Senouci arrive et remarque le manège qui semble l’amuser. Je lui explique qu’ayant oublié de commander une gerbe, j’étais en train d’en façonner une à partir de son jardin. En sortant, je coupe les branches d’une valeureux Kokia, cette minuscule plante ornementale venue de la lointaine Australie garce aux graines accrochées aux godasses des soldats venus libérer le monde occidental du joug allemand. Rien ne vaut les branches de kokia pour renforcer et colorer en vert ma couronne. Le panier installé dans le coffre de la voiture est déjà plein à craquer. C’est chez Djamel que je découvre deux superbes roses rouges que je coupe sans attendre. Djamel me propose de prendre également 4 roses blanches qu’un automne encore bien chaud laisse pousser sans vergogne.
 Déjà de bruyantes processions battent la marche vers la grotte située au fond du vallon d’Oued El Frachih. Des jeunes filles en habit de fête se donnent sagement la main. Leurs robes trop longues les obligent à les retrousser. De la grotte, des groupes bruyants s’entrecroisent, s’échangeant des mots d’une banalité citadine. Les encadreurs, totalement dépassés, ne savent plus où donner de la tête.

jeudi 31 octobre 2013

La revanche des insectes



Un ravageur inattendu dans les champs de tomates

Introduit  pour lutter contre la mineuse de la tomate, cet insecte entomophage est en train de se transformer en redoutable dévastateur de cette plante qu’il était sensé protéger. Ramenée depuis l’Espagne, la punaise Nesidiocoris tenuis fait actuellement des ravages dans les champs de tomates de la région de Mostaganem. De l’avis des chercheurs, cette mésaventure pourtant prévisible est en train de bouleverser radicalement la stratégie de lutte contre les ravageurs des cultures, prônée et soutenue jusque-là par les pouvoirs publics.

La perspicacité d’un trio de chercheurs en protection des végétaux vient de mettre en évidence les nuisibilités inattendues provoquées par un ravageur qui est considéré jusque-là comme un puissant auxiliaire dans la lutte contre Tutta absoluta, la mineuse des plants de tomate. Ce parasite connu pour ses origines sud américaines avait été introduit, dès la fin de l’année 2007, dans le Mostaganémois par un opérateur espagnol. En effet, avant l’arrivée de cet opérateur, ce parasite était inconnu de nos agriculteurs. Venu pour importer de la tomate au profit du marché espagnol, cet opérateur a alors transgressé les règles élémentaires en matière de protection phytosanitaire, en rapatriant en Algérie plusieurs conteneurs de tomate qui venaient d’être refusés d’accès sur le territoire Espagnol. Après un séjour de plusieurs jours au niveau du port d’Alicante, les caisses de tomates appartenant à des maraichers du Dahra, ont dû faire le chemin inverse, à l’insu de ses partenaires. En effet, cet aventurier qui avait pignon sur rue, n’avait pas trouvé mieux que de restituer à chaque fellah les caisses de tomates produites sur son exploitation. Selon plusieurs témoignages recueillis à l’époque, les fruits étaient dans un état de décomposition avancée. Après 5 mois de lutte acharnée, face à la persistance du phénomène et l’aggravation des dégâts, les fellah décident d’alerter les responsables sur « l’invasion des culture de tomate sous serres d’un mystérieux ravageur causant des dégâts importants malgré les traitements intensifs par l’utilisation de tous les insecticides présents sur le marché national, lesquels n’ont pu éradiquer ce fléau ». Détail d’importance, ce sont les serres des fellah ayant reçu les caisses refoulées d’Espagne qui ont abrité  les premières attaques. 

Des dégâts spectaculaires
Cette première alerte restera malheureusement

Tomates infestées par Tutta absoluta
sans suite, alors que la terrible Tutta absoluta se répandait à une grande vitesse dans les champs du Dahra et de Mostaganem. En effet, les techniciens diagnostiqueront une attaque de teigne, un insecte connu pour ses ravages sur les tubercules de pomme de terre, ce qui fera d’autant trainer la prise en charge du fléau. Tout en généralisant l’invasion à toute l’Algérie. En effet, personne ne songera à réglementer les déplacements de milliers de milliers d’œufs et de larves lors du transfert de quantités considérables de tomates vers le centre puis l’est du pays. Si bien qu’ en moins de 6 mois, Tutta absoluta sera signalée dans la plupart des champs et des serres de tomates du pays, depuis Biskra, jusqu’à Mostaganem, en passant par Skikda, Jijel, le Sahel Algérois, Boumerdès et l’Oranais. Ce sont les spectaculaires dégâts causés à la fois sur les tiges, les feuilles et surtout les fruits qui feront réagir les pouvoirs publics, à travers l’INPV. Ainsi, dès l’année 2009, soit une année après l’arrivée des premiers ravageurs, plus de 1 million de capsules de phéromones destinées à piéger les males, seront distribuées gratuitement aux agriculteurs. Ce n’est que tardivement que le ministère de l’agriculture mettra en place un programme de lutte intégrée contre la mineuse de la tomate. Intervenant lors d’une journée de sensibilisation organisée à Mostaganem, Melle Touad Sofia, soulignera la nécessité de « recourir à des mesures de prévention et de lutte biologique et chimique rationnelles pour préserver ce produit" à travers le territoire national. En clair, le ministère engageait une stratégie de lutte, alliant à la fois le recours à des substances chimiques et l’usage rationnel de moyens biologiques, comme le soulignera avec force, le Dr Bachir Dridi, conseiller auprès de la FAO et cadre chevronné à l’INPV. Dans la région de Mostaganem, le ministère procèdera à la distribution de capsules de phéromones destinées à capturer les males de Tutta absoluta, par la mise à disposition des fellah plus de 5.000 pièges qui seront répartis à travers plus de 8000 serres de la région de Aâchaâcha. L’opération a été généralisée ensuite à toutes les régions de production de tomate de plein champs mais également sous abri serre. Passant à une autre vitesse, les pouvoirs publics feront appel à la lutte biologique pure. A partir de l’année 2011, alors que les effets des phéromones étaient largement parvenus à réduire de manière substantielle la population du ravageur, les pouvoirs publics se tourneront vers l’importation d’une punaise, Nésidiocoris tenuis (Reuter, 1895) à partir de l’Espagne.
 
Dégats causés par Tutta absoluta
La recherche d’ennemis naturels
Très vite les boites de 250 ou de 500 pièces seront distribuées aux fellah. Des lâchers de cet entomophage connu pour s’attaquer aux larves de Tutta absoluta seront largement médiatisés. Limités dans un premier temps aux seules cultures sous serre, cette punaise dite « Espagnole » finira par se retrouver dans les cultures de plein champ, à la grande satisfaction des fellah. Pourtant, au laboratoire de protection des végétaux de l’université de Mostaganem, ils étaient une poignée de chercheurs à ne pas adhérer sans réserves à ce programme. A l’époque, les chercheurs Malika Boualem, Abdelwahab Mokhbi et Djamel Mahiout travaillent déjà sur cette punaise qu’ils ont identifiée bien avant l’introduction de sa cousine « Espagnole ». En effet, œuvrant particulièrement sur la biologie de Tutta absoluta et de ses ennemis naturels, ces chercheurs ont commencé par identifier les auxiliaires indigènes. C’est ainsi que Nesidocoris tenuis, connue pour sa prédation de l’Aleurode ou mouche blanche, est mise en évidence à l’état endémique. Cette punaise indigène devient très vite une préoccupation des chercheurs Mostaganémois qui lui consacrent plusieurs travaux. Si bien que l’introduction massive de la punaise « Espagnole » ne les laissera pas de marbre. Dans les recommandations de leurs travaux, ces derniers  n’omettront pas de recommander la plus grande prudence quant à l’usage immodéré à la fois des pesticides, des phéromones mais également des insectes auxiliaires. D’autant que plusieurs auteurs, du bassin méditerranéen et d’Amérique Latine n’ont cessé de souligner les penchants phytophagiques de Nesidocoris tenuis. Deux ans après l’introduction de la punaise « Espagnole », les appréhensions des chercheurs de Mostaganem viennent d’être confirmées sur le terrain. En effet, depuis quelques jours, des maraichers de Hassi Mamèche, d’Ouréah et de Stidia ont alerté les chercheurs qui se sont déplacés dans les cultures pour identifier un nouveau phytophage. Observées sous loupe binoculaire, les larves de différents stades sont formellement identifiées comme étant celles de Nesidiocoris tenuis, la fameuse punaise sensée combattre Tutta absoluta. Autre remarque de taille, sur les champs infestés, nulle trace de Tutta absoluta, ce qui à priori est loin d’être un paradoxe. Surtout que chez la plupart des chercheurs à travers le monde, ce phénomène était absolument prévisible et redouté. Une fois installée dans les cultures, la punaise dévore en priorité sa cible préférée, à savoir les œufs et les larves de Tutta absoluta ; mais en l’absence de ce parasite, la punaise, comme le souligneront avec force nos interlocuteurs, retrouve ses instincts phytophages. Ce comportement de survie n’est pas rare dans le monde des insectes comme tiennent à le rappeler Malika Boualem et Abdelhahab Mokhbi.
 
Adulte de Nésidiocoris tenuis
Dérives et mauvaises surprises
 De son coté, Djamel Mahiout met l’accent sur le recours à de nouveaux pesticides présents sur le marché et que les fellah se sont précipités à utiliser avec si peu de modération. Pour ce jeune chercheur, les résultats semblent à la hauteur des investissements consentis, puisque la panoplie de pesticides- essentiellement trois produits commerciaux à base de Spinosade, de chlorantraniliprole et de lambda cyhalothrine- ont permis de freiner la population larvaire. Ramenée à gros frais et utilisée sans réel contrôle, la punaise « Espagnole » vient de se retourner contre ses mentors.
Mais pour les chercheurs, le pire serait peut être à venir, car ce qu’ils craignent par-dessus tout, même s’ils le disent avec beaucoup de réserves, c’est la collusion entre l’espèce locale et celle importée d’Espagne. Très au fait de l’entomologie, Malika Boualem souligne que rien n’interdit à des insectes de la même espèce de s’accoupler et ensuite de donner naissance à une nouvelle population. Pour elle, l’existence d’une punaise locale étant avérée, il faudrait s’attendre à un échange de gènes entre les deux punaises.
Pour sa part, le Dr Mokhbi souligne que « la promotion de méthodes de protection des cultures respectueuses de l’environnement est  évidemment souhaitée, d’autant que la mise au point de méthodes biologiques afin de juguler l’infestation  de ravageurs comme Tuta absoluta, véritable peste pour la culture de tomate, conduit parfois les chercheurs et les firmes à proposer aux fellah des produits et des procédures susceptibles de favoriser une espèce prédatrice de ravageurs nuisibles, ce faisant, les résultats peuvent parfois réserver d’amères surprises ». Abondant dans le même sens Malika Boualem rappelle « la bonne sagesse populaire  qui stigmatise le remède quand il cause plus de préjudices que le mal qu’il vise à éradiquer ».
Pour sa part, Djamel Mahiout souligne « l’impérieuse nécessité de la lutte intégrée alliant méthodes biologiques et méthodes chimiques raisonnées et raisonnables ».
Pendant que larves et adultes de Nésidiocoris tenuis continuent de se propager à travers les champs de tomate, les chercheurs songent aux risques de contaminations des serres dont les plantations débutent actuellement dans la région de Aâchaâcha, la plus précoce.
 
Fleurs avortées
Un autre regard envers les pesticides
Les chercheurs redoutent l’apparition du même phénomène dans les autres zones maraîchères du pays.
A l’appui de leur thèse, ils soulignent le changement des mœurs alimentaires  de la punaise qu’ils expliquent en grande partie par l’absence de Tutta absoluta dont les dégâts se sont amenuisés,  probablement en raison d’une utilisation intempestive et redondante des pesticides, ou tout simplement  à cause d’une concentration élevée de Nésidiocoris tenuis .  En absence de sa cible favorite, la  punaise se devait  de revenir à un régime alimentaire phytophage; ciblant, comme cela a été observé, les parties les plus tendres de la plante en croissance active et qui de ce fait bénéficient d’un afflux privilégié de sève et de nutriments. L’insecte ou sa larve vient piquer le pétiole du bouquet floral, faisant avorter les fleurs  et tomber les jeunes fruits en pleine nouaison. Il s’en suit une réduction du nombre de fleurs  et donc une baisse du nombre de fruits. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une plante en fin de cycle productif, pleine de vigueur, la perte de fruits peut être compensée par un grossissement de ceux épargnés par le parasite. Une sorte d’éclaircissage qui n’affecte que légèrement les rendements. Cependant, l’intensité des attaques diffèrent grandement selon la vigueur des cultures et la qualité des soins prodigués. Si au niveau de Ouréah, l’avortement ne concerne qu’une à deux fleurs par poquet soit 20%,  sur les hauteurs de Hassi Mamèche, la perte atteint  jusqu’à 80, voire 100% du poquet floral. Ici, l’intensité des dégâts s’explique par une très forte concentration du ravageur avec présence de tous les stades larvaires ainsi que des adultes. Il est certains que pour ce jeune fellah, la chute de rendement sera autrement plus importante. Qu’en sera-t-il lorsque la punaise s’attaquera à de plus jeunes plants en phase de croissance? Nul doute que pour les maraichers qui se sont spécialisés dans la culture de la tomate, assurant une disponibilité durant toute l’année, une pullulation de cette punaise devra nécessairement entrainer des pertes inattendues et susciter un recours immodéré aux pesticides, la seule réponse qui sied à la fois aux cultivateurs mais également aux importateurs de substances chimiques, aux origines parfois douteuses. Celles dont les effets sur l’environnement, donc sur le consommateur, méritent un autre regard. Et surtout une attitude moins désinvolte, car il en va de la santé des utilisateurs mais aussi, on peut le craindre, du consommateur.
 
Poquet floral infesté et normal
Biologie de Nésidiocoris tenuis
 La punaise Nésidiocoris ténuis appartient à la famille des Miridae. Il s’agit d’un hétéroptère dont l’identification est attribuée à Reuter (1895). Connue pour son avidité pour les œufs et les larves d’Aleurodes et de Tutta absoluta, elle est présente à l’état endémique au niveau du bassin méditerranéen, ainsi qu’en Australie et en Amérique Latine. Insecte suceur, il se nourrit essentiellement en ponctionnant les larves de ses cibles. Il est également connu pour sa voracité des jeunes pousses de solanacées (tomate, pomme de terre, aubergine…) dont il attaque les parties les plus tendres et les plus charnues. A 26°C, son cycle biologique complet s’étale sur 29 jours, dont 12,5 jours comme adulte ailé pouvant se déplacer à travers les champs. La vie larvaire se compose de 5 stades, dont le tiers concerne le passage d’œuf à larve de premier stade. Par ailleurs, l’insecte module son cycle de développement en fonction de la température : 60 j à 15°C, 30 j à 25°C et 10 j à 35°C. Les femelles vivent environ 40 jours mais les mâles peuvent vivre un peu plus longtemps. Une femelle pond au total entre 100 et 250 œufs, suivant la température et la disponibilité alimentaire.

20 Aout 55, les blessures sont encore béantes

  Propos sur le 20 Aout 1955 à Philippeville/Skikda  Tout a commencé par une publication de Fadhela Morsly, dont le père était à l’époqu...