mardi 18 juillet 2017

Ahcène Tlilani et le chapeau de Zighoud


Ahcène Tlilani, le chapeau de Zighoud Youcef et l’épuration ethnique


Dans une séquence d’une grande sobriété, le Dr Ahcène Tlilani porte sur l’histoire du mouvement national et sur la guerre de libération, un regard bien singulier. Accoudé à une grande rigueur scientifique, maitrisant parfaitement ses sujets- Ahcène Tlilani a plusieurs cordes à son arc- et doué d’une clairvoyance et d’une grande éloquence, l’enfant de  Sidi Mezghiche, par ailleurs chercheur  et  doyen de la faculté des lettres de l’université du 20 Aout n’a eu aucune peine à épater la nombreuse assistance venue pour la présentation de son dernier – d’une série de douze- ouvrage consacré au théâtre algérien. De mémoire, jamais les débats animés par la sémillante directrice de la bibliothèque principale de Mostaganem, n’ont été aussi intenses, aussi tendus, aussi prolixes et aussi instructifs. En effet, après une double présentation de l’auteur et de ses ouvrages par la directrice de la BPLP et par le doyen de la faculté des lettre de Mostaganem, le Dr Benichou, ce fut au tour du Dr Tlilani de faire un détour à travers sa jeune et pourtant si fructueuse carrière d’auteur d’enseignant et de chercheur, dont les travaux s’articulent autour du théâtre et de la guerre de libération. Et c’est là où le public composé de femmes et d’hommes du 4ème art, dont d’éminents spécialistes, ainsi que d’étudiants dont certains- dans les deux sexes- feront sensation par leurs interventions et autres questionnements. Au point où les débats furent prolongés jusqu’à une heure tardive de la soirée. Comme le soulignera d’emblée Ahcène Tlilani , avec une généreuse humilité, les deux ouvrages qui ont marqué son riche et si élogieux parcours sont l’ouvrage sur le Théatre durant la guerre de libération – traduire plutôt par guerre révolutionnaire, pour Tlilani le mot « Thaoura » est traduit sans détours et sans équivoque par le mot « Révolution »- , dont la préface est signée d’Abdelhamid  Mehri  en personne – qui fut membre du premier GPRA et ensuite ministre et secrétaire général du FLN-, ce qui constitue en soi une première, le personnage étant réfractaire à  ce genre d’exercice.
On comprend alors le bonheur et la fierté de l’auteur qui se trouve honoré par une préface dont l’auteur est lui-même un personnage historique. L’auteur y retrace avec menus détails comment le théâtre algérien a été impliqué au point de servir d’appoint d’une grande importance à la révolution Algérienne. Il poussera l’analyse jusqu’à souligner que la première pièce «  Les Enfants de la Casbah» écrite par Abdelhalim Raïs et jouée pour la première fois à Tunis par la jeune troupe du FLN, avait bien plus d’esthétique «  jamaliyatte » que de nombreuses pièces du répertoire d’aujourd’hui.

Ma seconde fierté dira-t-il, c’est incontestablement  le livre consacré à  Zighoud Youcef. Mais là, le discours enflammé du conférencier mettra la salle sens dessus dessous. Car le héros du livre n’est autre que « Si Ahmed », alias Youssef Zighoud, natif des « Toumiyatte » ces montagnes jumelles qui surplombent vers le nord la vallée encastrée et fertile du SafSaf qui prend ses sources dans la région d’El Harrouch et par le sud, les vallons de Smendou à Hamma Bouziane que domine dans toute sa splendeur le Vieux Rocher  et la cité de Sidi Rached, l’imprenable Constantine. 
 
Pendant que les intervenants égrenaient leurs discours d’une bien inégale clameur, défilaient sur l’écran les images des couvertures des ouvrages de Tlilani. Dont une des plus célèbre, prise en son temps dans le maquis par Ammar Benouda – membre des 22 historiques, excusez du peu-, c’est l’image iconique du colonel Ziroud avec son fameux chapeau de brousse. Ahcène Tlilani, en succulent conteur, et en chercheur avisé, nous parlera alors de l’origine de ce chapeau. Et comme à notre connaissance ni son livre – rédigé en langue arabe- ni cette histoire ne sont connus du public, il est impératif que je fasse œuvre utile. Durant la Révolution, après la mort – le 18 janvier 1955- du chef de la wilaya II historiques connue sous le nom de « Nord Constantinois, en l’occurrence la martyr Didouche Mourad – mort en martyr dans l’oued Boukarkar, qui draine le versant sud des Toumiyatte-, c’est son adjoint Zighoud qui prendra sa suite. C’est donc durant le printemps 1955, qu’un groupe de « Fellagha » de la glorieuse ALN, capture un jeune soldat français du contingent. Contrairement à l’idée répandue et par l’administration coloniale et par quelques nervis indigènes – dont certains viennent de se manifester honteusement à l’occasion de ce 5 juillet, à Oran- le colonel Zighoud Youcef a toujours et de tous temps interdit à ses Moudjahidines de s’attaquer aux civils européens . Mieux, lorsque ce jeune soldat du contingent lui fut ramené, il le traita avec égards. Puis, ayant appris que ce jeune appelé n’avait rien d’un sanguinaire parachutiste ni d’un zélé administrateur, il décida de le relâcher sain et sauf. Le soldat qui n’en croyait pas ses oreilles, ne savait plus comment remercier son bienfaiteur et magnanime geôlier. C’est ainsi qu’il offrira à Zighoud Youcef le seul objet dont il pouvait décemment se séparer. 

C’est ainsi qu’en quittant le groupe de Moudjahidines, il offrit son chapeau de brousse à Zighoud Youcef. Qui en fit de suite son précieux couvre chef et qui ne le quittera jamais jusqu’à sa mort …dans une maison qui lui servait de refuge…à Sidi Mezghiche…le village natal d’Ahcène Tlilani, dont la famille, comme la plupart des familles de cette région s’étalant entre El Harrouch, Collo, Azzaba et Skikda. Qui payeront le plus lourd tribu lors de la répression qui s’abattit sur la région suite à l’insurrection du 20 aout 1955. Insurrection, qui fit pas moins de 20.000 victimes civiles parmi la population indigène. Ce chiffre sans équivoque est publié dans le livre du chercheur américain Mattew Connally « L’Arme secrète du FLN, comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie", où l’auteur cite un entretien entre Yves Calvet, le représentant de Jacques Soustelle à Paris avec l’ambassadeur Américain en France…


Cette histoire du chapeau le plus connu de la guerre de libération étant définitivement publique grâce à Ahcène Tlilani, il va bien falloir demander des comptes à JP Lledo et à ses amis communistes ainsi qu’à la France coloniale, qui n’ont jamais cessé de dire que la Révolution Algérienne n’a jamais été une « guerre d’épuration ethnique ». D’ailleurs, à la mort de Zighoud Youcef, les soldats français ont récupéré sa sacoche…qui a été précieusement gardée et méticuleusement analysée. Afin d’y trouver le moindre indice ou document pouvant faire éclairer l’opinion sur ce prétendu appel à « l’épuration ethnique » dont on continue d’affubler la Révolution algérienne…


Cette histoire m’interpelle personnellement. En effet, c’est lors de la conférence d’Ahcène Tlilani que j’ai fait la rapprochement entre le nom de guerre de Zighoud Youcef et le lieu chois pour l’insurrection sur Skikda…Pourquoi le choix de notre Marabout Sidi Ahmed ? ensuite, il y a cette histoire racontée dans le film de Jean Pierre Lledo par deux témoins, le Moudjahid Laaroum et mon oncle Mohamed Mouats. Tous les deux ont souligné que mon oncle Lyazid Mouats qui dirigeait une des deux colonnes de résistant, était tombé nez à nez avec le colon Messina, sa femme et ses enfants. A ses djounouds qui voulaient les tuer, Lyazid Mouats a ordonné de les épargner car « ce ne sont que des civils »…ceci n’a pas empêché le colon Messina, de dénoncer mon oncle et notre famille…ce fut la terrible représailles du 23 aout 1955…à laquelle plus de 80 femmes et enfants furent jetés en les pâture à la chaleur, à la soif et à la misère. Tandis que 23 hommes et adolescents – dont mes oncles  Salah et Rabah étaient âgés de 14 et 16 ans- furent emmenés vers une destination inconnue. Jusqu’à ce jour, nul ne sait où leurs corps furent livrés à la hyène et aux corbeaux.

Aziz Mouats


Mostaganem le 18 juillet 2017…

lundi 17 juillet 2017

La presse, cœur du Festival de Mostaganem









La presse, cœur du Festival de Mostaganem

Par : Aziz Mouats

En cette 50ème édition, si le Commissariat du festival de théâtre amateur de Mostaganem voulait publier toutes les contributions journalistiques depuis la première édition, il pourrait disposer au bas de mot de 5 milles pages de journal. Soit un livre de pas moins de 20 milles pages[1]. Ces chiffres sont tout à fait probables, ce qui donne une petite idée du travail accompli par les journalistes à travers une couverture assidue du festival. Pourtant, la relation à la presse n’a jamais été un fleuve tranquille. Il est possible de séquencer cette cohabitation en étapes. Celle du commencement, avec les plumes les plus brillantes, dont certaines de renommée mondiale. La seconde, sous l’emprise du FLN et de l’UNJA, qui verra l’arrivée du journaliste militant. Puis celle l’incertitude d’avant et d’après octobre 88 avec l’intrusion de la presse privée. Enfin, la période de la décadence qui coïncidera avec l’apparition de l’internet. A chaque période, ses plumes, ses lignes éditoriales, ses contingences, ses connivences et ses dérives. Après cette 50ème édition, quelle communication pour le festival ?

De la «Com» de haute voltige
Le premier vrai coup de génie de Si Djilali reste incontestablement celui du choix de la période de déroulement du festival. S’il est vrai que la première édition coïncidait avec l’ouverture de la quinzaine commerciale de la ville[2], il est permis de penser que si cette période n’était pas propice à la venue de nombreux journalistes en mal d’activités du fait de la vacuité de la scène politique, Si Djilali aurait certainement opté pour cette période estivale.
 S’il y a bien un journaliste dont la perspicacité n’a jamais été démentie, c’est bien Kémal  Bendimered. En plus d’être l’une des mémoires vivantes du festival du théâtre amateur, l’incontournable Kémal Bendimered, c’est sans doute celui qui aura à sa manière imprimé un véritable label au festival. A l’instar de ses pairs de la presse de l’époque, il donnera le meilleur de lui-même pour faire de cette manifestation singulière, un lieu où convergeront sans discontinuité tous ceux qui avaient la culture en partage. Avec Hamid Bouchakji d’El Moudjahid, Abdelkader Djemaï de La République, Hamdane Belouassouassi le chef du bureau APS, ils seront comme ces pionniers, ouverts à toutes les initiatives. Cette période a vu également l’apparition d’autres jeunes et parfois brillant journalistes et autres correspondants. On peut citer A. Bousserouel, Benbaghdad, Brahim Hadj Slimane. On a même croisé Paul Balta qui était le correspondant de l’illustre quotidien français « Le Monde » à Alger. A ce titre, il était devenu l’un des proches confidents du président Houari Boumediene qu’il côtoya durant tout son règne. Il y avait aussi un certain Kosseï Salah Derouiche, un Syro-Palestinien, proche des milieux de gauche et d’Abderrahim Bouabid[3],
Très vite, ces gens de plume vont prendre l’attitude du parrain. Qui n’est pas celle du père. Cette promiscuité, contrairement à ce qui se passera plus tard, n’était suspecte de rien. Autant, cette première génération était professionnelle, malgré une jeunesse et un savoir faire hésitant, autant son engagement pour le festival était sans bavures,  sincère, profond et totalement désintéressé. Chacun de son coté, comme s’ils s’étaient donné le mot, cherchait à faire son métier d’information et de critique ; sans jamais verser dans l’excès. Cette attitude était la règle et elle sera respectée par la seconde génération, celle que l’on peut désigner par le terme galvaudé de « fournée de l’UNJA » avec son organe central l’Unité[4]. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette seconde génération de journalistes ne manquera ni de talent, ni de discernement. Il y a là Kamel Alouani, Arezki Metref et tant d’autres plumes toutes aussi érudites, toutes aussi sincères, toutes aussi engagées, toutes aussi incontournables. C’est grâce à leurs écrits que ce formidable mouvement culturel continue de propager ses vibrations dont se nourrissent les générations successives des jeunes acteurs amateurs. Celles qui, par vagues ininterrompues, n’hésiteront pas à faire du festival de Mostaganem, un passage obligé. Mieux, un lieu de ressourcements multiples. Qui, très souvent devenait un lieu de consécrations pour nombre d’entre eux.
C’est autant grâce à l’image qu’aux écrits journalistiques que ce festival de tous les défis se fera connaitre et surtout reconnaitre. Non seulement dans les moindres recoins de l’Algérie, mais bien au-delà de nos frontières. Car combien même à ce jour, les écrits journalistiques n’auront pas eut droit à la moindre manifestation d’un début de reconnaissance, il est indéniable que ce sont les centaines d’articles parus dans la presse nationale, essentiellement de langue française, qui auront frontalement participé à la notoriété de cette union-libre de Mostaganem avec le quatrième art. Ca n’est point usurpé de rappeler le rôle joué par les photographes professionnels et amateurs[5] dans la visibilité de cette manifestation.
Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, la relation n’aura pas été aisée entre les troupes participantes, les artistes, les organisateurs et la presse. Dont les envoyés spéciaux auront fait montre d’une grande objectivité, d’une réelle liberté de ton et surtout d’un grand engagement auprès du festival. Un engagement sans lequel, cette manifestation n’aura jamais survécue aux impérities, aux entorses, aux injonctions et aux manipulations de tous ordres. Car, on le sait, depuis la première édition, ni les manœuvres de déstabilisation ni les tentatives de délocalisation ou de domination n’auront manquées.
Le temps aidant, on peut aisément faire la part des choses entre un journalisme de complaisance et un journalisme rigoureux, critique et intelligent. Dans ce cadre également, il n’est pas possible de nier que Mostaganem fut une très bonne école. Celle d’un journalisme intransigeant, courageux, engagé, implacable et profondément patriotique en ce sens que pour lui, seul l’intérêt général primait. Ce n’est pas sans raison que les seules reliques que chaque festivalier gardera jalousement dans un placard, sont ces coupures de journaux de l’époque. Que les festivaliers s’arrachaient dans les kiosques et les quelques rares librairies de la ville
Au fil des éditions, la couverture médiatique se fera de plus en plus dense, de plus en plus diverse et de plus en plus professionnelle. Du moins durant les quinze, voire les vingt premières années[6]. Car bien avant l’avènement de la presse privée, les écrits de qualité se feront moins prégnants. Une nouvelle génération venait de prendre le relais, dans des conditions très particulières.
Alors qu’il ne subsiste que peu de texte de la première édition, il n’en sera plus de même pour les suivantes. Mais c’est incontestablement à partir de la 3ème édition, celle d’aout 1969, que les écrits journalistiques se feront plus nombreux et plus incisifs. Ce constat n’est pas uniquement dû à la qualité des spectacles ni à la prestation des jeunes acteurs qui feront vibrer les planches, au grand bonheur d’un public exigeant, chauvin, insatiable et parfois insolent. Il s’explique surtout par la présence chez les gens de la presse, de nombreux talents en herbe qui n’attendaient que ce challenge pour exploser. Ce festival n’est qu’une insolence naturelle chez une jeunesse en quête de repères et de nouvelles sources de motivation. C’était çà l’ambiance bon enfant qu’offrait Mostaganem à un pays qui se cherchait une voie spécifique vers une nouvelle forme d’émancipation.
Des écrits qui resteront dans la mémoire collective. Comme des écrits d’une grande pugnacité. Il suffit de relire des papiers de l’époque pour se rendre compte de l’étendue de la palette culturelle des journalistes de ce temps là. Pourtant, durant ces années d’insouciances et de luttes, l’exubérante et généreuse toile du « Net » n’existait pas. Un réel paradoxe, alors que de nos jours, toutes les pièces du patrimoine universel sont disponibles sur la toile mondiale, on se complait à décrire l’ambiance autour du festival au lieu d’aller à la critique. Mais pour cela, il faut avoir des outils que seule la curiosité culturelle peut offrir à celui qui se soucie de la perfection. Force est de constater que la nouvelle génération de journalistes aura trop souvent manqué de ce minimum vital.
Car, contrairement aux premières troupes de la première édition, la venue du CRAC de Constantine allait mettre le festival sur une voie royale. En effet, les constantinois donneront un spectacle élaboré, grâce à un texte dense et judicieusement structuré, si bien que la presse de l’époque, sous les plumes avisées et acérées de Tahar Djaout[7], Abdelkrim Djaad, Boukhalfa Amazit, Hamid Bouchakdji, Kémal Bendimered, Abdelkader Djemaï, Djamel Eddine Merdaci, Mohamed Ali Lahouari[8], et tant d’autres, souligneront dans une introuvable unanimité le formidable bond qualitatif de la seconde édition.
Rassurons-nous, cette unanimité sera de courte durée ! Ce qui est plutôt de bons augures pour la suite de la compétition, car des distorsions, des contradictions, des altercations, des conflits, il y en aura à profusion chez les journalistes et correspondants. Surtout qu’avec l’avènement dès 1975 de l’UNJA, qui éditait son hebdomadaire L’Unité, la scène médiatique allait s’enrichir de fraiches et succulentes plumes.
Des jeunes journalistes qui auront d’abord renouvelé et enrichie la scène médiatique, dont certains, à l’image d’Arezki Metref, s’affirmeront avec élégance, aux cotés des ténors d’alors. Inutile de souligner combien l’émulation fut prolifique. Lors des débats d’après spectacles, qui à l’époque étaient la règle, ainsi que durant les conférences de presse, il fallait savoir garder raison pour ne pas s’emballer. Les responsables des troupes, ceux qui étaient habilités à animer les conférences, se retrouvaient souvent face à un sympathique mais intransigeant jury, un mini tribunal où les acteurs avaient changé de ton.
A l’époque, la qualité des débats et des écrits qui en résultaient, reflétaient à la fois la qualité des pièces présentées et la verve des jeunes et talentueux correspondants et autres envoyés spéciaux. Qui avaient très bien révisé leurs classiques, comme l’attestent leurs nombreuses contributions. En définitive, il se produira une véritable symbiose entre les journalistes et les comédiens et autres animateurs. En reprenant scrupuleusement les préoccupations rapportées dans les pièces, la presse ne faisait que répercuter un fait de société. Ainsi faisant, les journalistes ne traitaient jamais de problèmes politiques ni des revendications sociales, que sous l’angle du compte rendu. Cette synergie permettait de véhiculer les messages de soutien au monde ouvrier et paysans, de parler des luttes sourdes qui travaillaient la société. La presse aidait à amplifier tous les cris de détresse en provenance des couches populaires. Elle mettait un point d’honneur à répercuter l’engagement des participants aux cotés des paysans sans terre et à amplifier toutes les revendications qui s’exprimaient sur les planches.
A la lecture des papiers de l’époque, on découvre que l’aspect le plus prégnant est sans conteste la grande humilité des journalistes. En voici une illustration à travers un article de Hamid Bouchakdji, l’envoyé spécial d’El Moudjahid, parlant de la troupe du CRAC[9], dans l’édition du 22 aout 1969 : « Déjà lauréats en 1968, les Constantinois seront cette année encore parmi les favoris du concours, d’autant plus que, selon certains dires, le spectacle des premiers jours ne semble atteindre le niveau de l’an dernier, en raison sans doute d’un manque de présentations et d’expérience. Cependant, les spécialistes du théâtre qui suivent ce festival ont noté avec satisfaction le sérieux des sujets traités et un souci de recherche dans la forme théâtrale et la mise en scène ».
A propos de l’esprit de tolérance dont feront preuve ces journalistes, voici l’exemple de la troupe “Prolet Kult », sujet polémique par excellence, le journaliste A. Bousserouel, après avoir descendu en flèche les acteurs, ponctuera ainsi son texte : « A la décharge de ces jeunes, il faut signaler qu’ils ont été pratiquement livrés à eux-mêmes, sans aides, ni conseils, et c’est déjà un miracle qu’une troupe théâtrale puisse encore exister à Saïda ». Ce passage à lui seul suffit à se faire une réelle idée de l’extrême tolérance dont firent preuve à la fois les organisateurs et les critiques. Les uns refusant ostensiblement de ramener l’élite, si tant est qu’elle existât, et les autres jouant à fond leur rôle de critique inféodés uniquement à leur conscience. C’est aussi l’exemple parfait et vivant de cette intelligence des responsables du festival que d’être parvenus à faire converger des idées et des points de vues différents et parfois contradictoires, vers un objectif commun.

Une critique sereine
En 1974, après une longue convalescence, le dramaturge Mostaganémois Ould Abderrahmane « Kaki » se signale par une présence soutenue au festival. Dont la commission est présidée par Ghali Elaakeb, le poulain de « Si Djilali ». A l’époque, « Kaki » ne ratait aucune occasion pour venir soutenir ses amis d’enfance. Et aussi prendre le pouls de cette expérience que ni lui, ni Mustafa Kateb, le directeur du TNA, n’avaient vu d’un bon œil lors de son lancement. Après une longue convalescence – consécutive à un terrible accident survenu 6 ans plus tôt –, Ould Abderrahmane « Kaki » prenait le temps de participer aux débats d’après spectacle qui étaient la règle. On constate de suite que les débateurs n’y allaient pas de main morte. Grace à la sagesse de « Si Djilali », de « Kaki » et de nombreux journalistes, les débats étaient recentrés sur l’essentiel. A savoir une critique constructive, positive, objective et sereine. Ce ne fut pas toujours le cas, si bien que, plus tard, durant plusieurs années, les débats seront tout simplement supprimés. Pas sûr que cela fût utile au théâtre. Pas plus qu’à l’expression libre d’une jeunesse engagée à fond dans le combat contre toutes les formes d’oppression. Il est bon de souligner que la participation de ces personnalités aux débats ne relève pas de la simple convenance protocolaire. En effet, ni «Kaki» ni Si Djilali ne se priveront d’intervenir dans les débats souvent houleux d’après spectacle. Cette présence a eut plusieurs avantages.
D’abord pour les jeunes journalistes. Qui vont trouver en ces spécialistes de l’art scénique de véritables pédagogues. Sans doute, est-ce la plus grande contribution de Kaki à l’épanouissement d’une critique saine avant-gardiste. Ces séquences d’interminables débats vont faciliter et aider à la mise à jour des connaissances. Ce qui va non seulement profiter aux acteurs, mais également à la corporation des journalistes, obligés de porter la contradiction…à armes égales. Comme en face, il y avait aussi de la répartie chez les animateurs des troupes, mais également chez de nombreux acteurs, on en est arrivé à asseoir une véritable critique et une véritable débat. Ce qui obligera les jeunes journalistes à se tourner vers les classiques afin d’acquérir les rudiments d’une critique solide. Il leur fallait maitriser leur sujet pour tenir tête à ces jeunes animateurs de troupes qui ne s’en laissaient point conter.
On reste frappé par la qualité des écrits, d’où perle une réelle maitrise du sujet à l’exemple de ce texte de Hamid Bouchdjakji :
« Certaines scènes sont à revoir : Celle du chant du corbeau et particulièrement du chant de la Palestine, tableau qui, à notre avis, est à remanier entièrement. Le monologue des protagonistes est confus, fatiguant aussi bien pour l’acteur que pour les spectateurs, truffé d’allusion et de paraboles qui ne portent pas et qui desservent le but recherché : à savoir la lutte d’un peuple (Palestine) arabe devant le sionisme.
Ce tableau qui nous touche à plus d’un titre, gagne à être étudié plus sérieusement, pour lui donner l’impact qu’il doit avoir et ce, en rendant le texte plus conclus, plus cru, et en le débarrassant des passages creux qui ne parviennent qu’à traduire le verbiage de ceux qui prétendent défendre les Palestiniens.
Le vrai spectacle a eu lieu après la fin de la représentation, lorsque l’animateur - Othmani Mokhtar – entouré des éléments de sa troupe[10], est venu engager le débat. C’est alors que les diatribes les plus violentes se déchainèrent parmi l’assistance. En réalité, et c’est la chose qu’il faut regretter, les candidats au dialogue n’étaient pas nombreux. Pratiquement tous ceux qui ont pris la parole, portaient le macaron du festival. Le spectateur lui, une fois la représentation terminée, a quitté la salle, pourquoi ? Parce que le choix de l’heure est malheureux (23h30). Parce que ceux qui prenaient la parole voulaient la garder et s’enliser dans les dialogues et les polémiques stériles. Enfin parce que nous avons senti qu’il existait une certaine animosité de la part de ceux qui critiquèrent la pièce.
Abderrahmane « Kaki » semblait déçu par la tournure prise, malgré le conseil qu’il donna aux parties de dépassionner la discussion et d’axer les débats sur les valeurs intrinsèques de la pièce et de son interprétation… »
A la veille de la clôture de la septième édition, on pouvait lire, sous la plume d’Abdelkader Djemaï, ce redoutable constat: « Se cherchant et se perdant, indécis, piaffeur, persifleur et pas souvent costaud, le jeune théâtre a été cette année assez maigre. Demain, il lui faudra prendre la route ».
Toujours aussi incisif, A. Djemaï poursuit : « Néanmoins, au cours de ce festival, il aura essayé de trouver sa voie. Comme les années précédentes. Et à chaque fois, n’osant pas se remettre pleinement en question, il se mord la queue. N’osant pas affronter les problèmes en face, il se montre de profil, parfois à l’envers. Et à l’endroit des troupes, il faudra insister sur le manque de responsabilité, en choisissant le théâtre comme moyen d’expression privilégié. Sept fois un festival, quelques tentatives, beaucoup de troupes, pas assez d’initiatives, de temps à autre des éclairs. Le bilan est à mettre au passif et ce théâtre a encore des dettes à payer envers lui-même ».
Abordant la question des moyens, le journaliste empruntera une parabole qui en dit long sur la coercition ambiante : « Si le jeune théâtre déjeune, il ne soupe pas. Le bouillon de culture verra flotter quelques morceaux de choix. On boit des lèvres et on repousse l’assiette. On boit des yeux et la scène n’offrira plus rien ».
Se faisant plus incisif, l’auteur, en observateur averti, devient très critique : « Voir les choses du bout de la lorgnette n’arrange personne. Voir les choses en termes de devenir et pourquoi pas en grand. Cela appartient au jeune théâtre de se vouloir comme il le désire… Pour cela, il devra se mettre en situation et en demeure d’avoir à charge un devoir envers un public populaire, à le respecter et à lui apporter des œuvres qui le concernent ».
C’est vers le spectateur que le journaliste se tourne pour mieux faire passer son message : « Si le public du festival de Mostaganem a ses humeurs, si parfois il est turbulent, insupportable, s’il rechigne et fait la tête, s’il bouscule quelques peu l’ordre et boude devant ce qu’on lui présente, il a néanmoins des raisons. Celles de ne pas l’ennuyer et de faire à ce qu’il décroche à chaque fois. Il aime être vaincu, c'est-à-dire, une fois de plus, à être convaincu. L’excuse facile est de l’éviter pour son caractère. La nécessité : de le saisir par les ‘’cornes’’ en lui offrant des pièces qui l’intéressent et en lui apportant ce qu’il attend ».
On le sent un peu déçu notre ami, mais il ne manquera pas de « boucler » par une note d’optimisme : « ce jeune théâtre a cependant dans le cœur et dans la tête la possibilité de remédier à sa crise d’adolescence. Il se veut pour la Révolution agraire, et veut la défendre par le moyen du théâtre. Un choix d’importance. Il lui restera la possibilité de la défendre par la réflexion dans son travail ».
Le témoignage d’Omar Fetmouche est poignant de sincérité, il décrit une véritable arène, où ne manque que la mise à mort: « Imaginez- vous avec une quinzaine de jeunes d’à peine 14 ou 15 ans, qui débarquent dans la fameuse Salle Afrique ! Ce fut un choc extraordinaire pour toute la troupe ; c’était une propulsion dans cette terrible ambiance, un vrai chaudron que cette salle ! Le vaccin à quadruple dose et un public insensible à notre jeune âge, intransigeant comme à son accoutumé et, disons le, sans pitié pour notre frêle troupe. Le spectacle a été très mal accueilli, moi j’avais à peine 20 ans et j’avais été totalement déboussolé par cet accueil du public. Puis vint la séquence interview avec le redoutable Arezki Metref, qui deviendra plus tard un ami. Il travaillait à l’époque pour L’Unité, organe central de l’UNJA. Les questions fusaient comme des flèches, et moi dans cette tempête j’essayais de garder mon calme. Ce fut terrible, j’avais perdu mon self-control et commençais vraiment à douter de moi et de mes jeunes acteurs. Je regrettais même de les avoir engagé dans cette aventure et je craignais de les blesser à jamais et de leur faire perdre confiance en moi, mais surtout en eux ».
Reprenant son souffle, il décrit l’ambiance surchauffée de la conférence de presse : « Ce fut une situation d’extrême culpabilisation que je n’avais jamais connue auparavant. Et à laquelle je ne m’attendais pas du tout, surtout après le passage en auditions devant le jury de sélection. Me revenait à l’esprit les éloges de Djamel et de Benmokaddem, il n’était pas possible qu’ils se soient trompés à notre égard. En pensant à eux, j’avais l’impression de les avoir quelque part trahis ! Bref, j’étais au fond du gouffre lorsque je vois arriver vers nous le patron de ce festival, l’imposant « Si Djilali », celui qui n’intervient que très rarement dans les débats et pratiquement jamais dans les conférences de presse. Et voilà que lui, le formidable et très paternel « Si Djilali » qui demande calmement à prendre la parole tout en continuant à tirer sur une interminable cigarette. Ce fut le silence total, tous les présents, journalistes et acteurs, étions scotchés à ses lèvres. D’un ton très calme de celui qui sait son poids dans la balance, il prononcera des paroles que je continue à sublimer comme une délivrance : ‘’ Ecoutez moi bien, disait-il, méfiez vous de cette troupe et de ces jeunes, vous allez les avoir pendant longtemps sur le dos, car ils n’ont pas encore tout dit, loin s’en faut ! ’’.
Ne cachant point son soulagement, Omar Fetmouche ajoutera : « La messe était dite, le grand patron, celui qui ne doute de rien, qui donne de l’assurance et de la dynamique au festival venait de trancher les débats à notre avantage. Je ne sais pas si son intervention a eut une quelconque influence sur les journalistes et les critiques, mais ce que je sais c’est que nous venions d’être sauvés par ce grand «Monsieur» à qui nous devions tout ! C’était ça «Si Benabdelhalim», un génie au grand cœur et un immense découvreur de talents. Lui seul savait rassurer et lui seul pouvait rassurer. C‘était pour moi et pour ma très jeune troupe le plus bel hommage. La dernière partie du festival fut pour nous une véritable consécration, car de toutes parts, on nous reconnaissait et on nous saluait. Moi qui revenais une année après à Mostaganem, mais cette fois-ci dans l’habit de l’animateur de théâtre, je n’en revenais pas ! Alors que j’avais quitté l’ITA pour une autre vie, je ne m’attendais surement pas à être consacré une année après dans cette même ville, mais dans un autre registre. Celui que j’avais choisi en toute conscience et en toute passion ».
A la 24ème édition, dans le numéro 1298 de l’hebdomadaire Algérie Actualité, Abdelkader Djemaï fait lui aussi ce terrible constat. Sous le titre : « Mosta, au petit bonheur la chance », déjà très évocateur, l’intellectuel Oranais rédige un chapeau à l’article de Brahim Hadj Slimane. Dans un verdict des plus alarmants, voici ce qu’il disait : « Vingt quatre ans d’existence et toujours pas de public. Le festival a son histoire, ses heures de gloire, ses talents et ses périodes noires. Au temps des censures bêtes et méchantes, il trouva son ton dans la virulence. Manquant certainement de souffle et dans un climat plutôt hostile à toute forme d’expression, depuis quelques années, il patine sec. De Saïda à Constantine, de Tiaret à Alger, les grandes formations se sont retirées en silence. Autrefois, vivier du mouvement théâtral, aujourd’hui, juste une nostalgie qu’on égrène une fois l’an. L’échéance du Festival passée, chaque troupe retourne à sa case départ. Sans moyens, sans formation, sans local le plus souvent, le théâtre amateur a, malgré tout, donné au professionnel quelques-uns de ses meilleurs atouts et une part, aussi, de son style éclaté. Retrouvera-t-il son élan, ses interrogations ? En attendant, il se cherche et peut être, comme il l’a déjà fait, puisera-t-il dans son propre drame, la force de sa jeunesse ».



La province contre Alger
Très curieusement, avec l’ouverture politique consécutive aux manifestations d’Octobre 88, suivie de l’apparition – sous l’impulsion de Mouloud Hamrouche- d’une presse privée,  on vois émerger dans l’arène une nouvelle corporation, celle des correspondants locaux. La conséquence sur la pratique journalistique va avoir des retombées inattendues. Le journaliste qui va couvrir le festival n’est plus cet envoyé spécial venu d’Alger, mais le voisin, le collègue ou l’ami que l’on croise tous les jours et avec lequel il est possible d’établir une relation de proximité, voire de connivence.  Ça ne se passera pas toujours ainsi. Habituellement, l’envoyé spécial venu d’Alger, d’Oran ou de Constantine, était dans la plupart des cas, choisi en fonction d’une certaine compétence dans le domaine culturel, ou à tous le moins doté d’une forte attirance pour la critique et pour l’art du spectacle. Ce qui supposait une certaine prédisposition, voire simplement une grande envie d’apprendre.  Il se trouve que chez le correspondant local, par définition, il était choisi pour couvrir toute l’actualité, rien que l’actualité et les faits divers. Parfois, lorsqu’il avait une certaine fibre culturelle, c’était plutôt mal vu par la rédaction centrale. Force est de constater, qu’à l’usage, rares seront les partenaires du festival qui pourront se prévaloir d’une grande passion pour la culture. Il fallait donc faire contre mauvaise fortune bon cœur. Sans doute que la décennie noire y était pour quelque chose, mais les écrits journalistiques se feront moins prégnants, moins élaborés. Certes il y avait encore quelque belles plumes, mais nous étions à mille lieues des papiers de la génération précédente. Puis, avec la mise en place du commissariat, les moyens aidant, la presse sera très vite choyée. Mais cette générosité ne profitera pas aux correspondants locaux. En effet, avec la mise en place d’un chargé de la communication, les responsables engagent un bras de fer feutré. Grâce à des complicités algéroises bien infiltrées dans les médias aussi bien publics que privés, la conférence de lancement du festival sera réservée aux journalistes algérois. Puis, très vite cette complicité se concrétisera sur le terrain. Les journalistes triés sur le volet, vont être ramenés à grands frais à Mostaganem. Avec à la clef, une prise en charge royale au niveau des complexes touristiques des Sablettes. Mettant dans une gêne terrifiante les correspondants locaux.
Malheureusement, les résultats seront bien en deçà des espérances.  Des partis pris flagrants vont apparaitre. Lors des débats, de nombreux journalistes, contrairement à leurs ainés des deux précédentes générations, s’érigeront en véritables jurys populaires,  encensant une troupe « amie » ou originaire d’une région particulière et tombant à bras raccourcis sur une troupe concurrente. Qui ne se souvient de ces lamentables joutes oratoires où les honorables journalistes transformaient le débat en une véritable arène où le pugilat se le partageait au lynchage? Nous sommes très loin de cette époque bénie où le journaliste se gardait bien de donner son avis devant le public et face à des jeunes comédiens pris en tenaille. A l’évidence, l’absence d’une autorité morale ouvrait les portes à toutes les dérives. Et très curieusement, les responsables ont laissé faire. Si bien que très vite, l’impact de la presse sur la manifestation avait pris une tournure dramatique.
Voilà qu’un jour, quelqu’un a eu la généreuse idée de créer une revue du festival. De nombreux journalistes, dont certains envoyés spéciaux s’engouffrèrent dans la brèche. Après tout, pourquoi la manifestation n’aurait-elle pas sa propre communication ? Sauf que dans cette affaire, il y avait tout de même une entorse à la déontologie. Car les honorables correspondants jouaient sur deux tableaux. Nous sommes bien loin de cette époque où le rédacteur en chef d’Algérie Actualité interdisait fermement à Ahmed Cheniki, son jeune envoyé spécial, toute prise en charge par le festival !




En guise de conclusion

Durant les 25 premières éditions, le couple presse-festival aura vécu dans une parfaite communion, ce qui n’empêchait pas les discordes, les coups tordus, les reniements, les bouderies, voire la séparation houleuse, juste le temps d’une soirée. Le lendemain, tout rentrait dans l’ordre. Ce qui transparait clairement de nos jours, c’est que sans cette présence de la presse, jamais le festival n’aurait atteint une telle notoriété, aussi bien nationale qu’internationale. Mais ce serait faire preuve d’égarement coupable que de ne pas souligner par ailleurs que cette harmonie et cette synergie n’ont été possible que garce l’existence d’une presse publique, et uniquement publique, au travers de laquelle il était possible de faire du journalisme de très belle facture. Même l’austère El Moudjahid, qui était en réalité le porte-parole officiel de l’Algérie, à aucun moment sa rédaction ne sacrifiera la page culturelle. En consultant les articles de l’époque, on est admiratif devant l’intensité de la couverture réalisée par l’envoyé spécial d’El Moudjahid, mais également par la régularité de sa page culturelle, sans doute l’une des plus étoffée et la plus régulière de la presse nationale.
Ce sont toutes ces conditions qui auront indubitablement concourus à l’émergence de textes référentiels en matière de critique artistique.
Face à ce qui parait être un succès fulgurant, la couverture médiatique aidant, il fallait s’attendre à un retour de bâton. Ce qui se produira lorsque les journalistes autochtones et étrangers commenceront à inscrire Mostaganem et son théâtre dans leurs agendas. La liberté de ton que les journaux refreinaient, surtout dans la sphère du politique, ne sera plus de mise s’agissant de la sphère culturelle. Quand on relit certains écrits, on est stupéfaits de la liberté de ton de leurs auteurs. Il est aisé de comprendre que le système politique en place n’allait pas s’en laisser conter. Notons qu’en face, certains patrons de journaux ne feront rien pour mettre fin à cette liberté d’expression tout à fait inédite sous un régime autoritaire, comme pouvait l’être le régime algérien. La plupart de ces patrons de presse, de ces chefs de rubrique, de ces chroniqueurs, de ces journalistes, avaient une très haute idée de leur métier, mais surtout de leur devoir vis-à-vis de la nation et du pays. A l’évidence, sans une presse dévouée, attentive, attentionnée, critique et vigilante, le festival de Mostaganem n’aura jamais tenu la route, ni n’aurait atteint la notoriété qui est devenue la sienne. C’est en grands communicateurs que les responsables avaient fait le choix d’abord de faire coïncider la manifestation avec la quinzaine commerciale de la ville de Mostaganem, mais aussi d’avoir fait le judicieux choix de la période des vacances scolaires et également institutionnelles. Mostaganem avait atteint une notoriété incontestable. En contrepartie, son festival a permis à de jeunes journalistes de se frotter à de prestigieux hommes de théâtre. Ils ont aussi regardé des spectacles de belle facture. Les organisateurs avaient besoin d’une critique aussi objective que besogneuse et magnanime.
Car il n’est pas possible qu’à la veille de cette 50ème édition, l’histoire ne se souvienne pas d’Omar Ourtilane et de Tahar Djaout, morts en martyrs, ni de ceux qui sont partis avec la conviction du devoir accomplis. Ils furent un petit groupe, puis très vite, ils seront des dizaines à se relayer pour donner le meilleur d’eux-mêmes[11].
Ce n’est pas rien que de dire de nos jours que cette liberté d’expression de l’époque constituait la matrice de l’action revendicatrice et contestataire. C’est dans les entrailles de cette presse publique engagée et téméraire, que naitra, à partir de 1990, la presse privée algérienne. Celle dont se revendiquent tous les démocrates, mais également tous les autocrates qui s’en serviront à profusion et sans retenue. Il est presque certains que c’est dans la synergie du festival de Mostaganem que les premiers balbutiements de la future presse privée entameront leur irréversible engagement.
Il serait peur être raisonnable qu’un jour les organisateurs du festival songent à rendre un hommage à ces hommes de plumes, mais également à leurs confrères photographes. Hélas, dans les travées du festival, il arrive que parfois les journalistes ne reçoivent pas la considération qui leur est due. En de nombreuses occasions, ils auront fait l’objet de comportements pour le moins inconvenants.
Avec la fougue des premières joutes, les journalistes, sans sacrifier à l’objectivité, porteront fort et loin le message des jeunes acteurs et réalisateurs. L’embellie entre le festival et la presse durera à peine vingt saisons.
Nombreux sont les journalistes qui finiront par abandonner la partie, la mort dans l’âme. Leur festival était transformé en une véritable kermesse qu’ils eurent de la peine à accepter. Même les plus fidèles finiront par se lasser de tant d’arrogance, d’effronterie, d’insolence, d’offense et d’incivisme.
Avec la pullulation des médias privés et la grande frilosité de la presse publique, il est de plus en plus évident que les journalistes engagés de la première génération, sont devenus une denrée précieuse. Il est aisé de constater que ce ne sont pas les correspondants provinciaux qui vont assurer une relève introuvable. De ce fait, il devient vital pour le festival de se trouver une nouvelle forme de communication. Les réseaux sociaux doivent constituer une alternative. Elle n’est pas la seule, mais son impact est irremplaçable. Il se trouve que le FNTA n’a toujours pas sa propre page web !
 Comme aucune université ne forme des journalistes critiques, il va bien falloir retrouver les voies du bon sens et compter sur ses propres ressources. Mais la question la plus prégnante serait de savoir si le théâtre amateur a encore besoin d’une critique ? En quoi lui serait-elle utile ? Si la réponse à ces deux questions est affirmative, il va falloir reprendre la bonne vieille recette. Celle d’une réelle prise en charge de la formation, qui serait consubstantielle à une véritable structuration du théâtre amateur.
Ceci devrait se faire concomitamment avec la préservation de la mémoire. Alors, n’est-il pas venu le temps, en cet été du cinquantenaire, de songer enfin à rassembler ces archives -photographies et textes journalistiques- qui pourraient constituer, à n’en point douter, un livre d’au moins vingt mille pages.


Mostaganem, le 15 juillet 2017


[1] Si on admet que chaque spectacle aura fait l’objet d’un papier, sans compter les papiers d’ambiances, les interviews, les conférences de presse, les comptes-rendus de colloques et d’ateliers de formation, les synthèses et les bilans, on peut légitimement convenir qu’à raison de 25 journalistes présents à chaque manifestation, le chiffre de 20.000 papiers est parfaitement plausible. Si maintenant chaque papier équivaut à 2500 signes – ce qui est très peu, eut égard à l’aspect très particulier de la rubrique culturelle –, on aboutit pratiquement à insérer 4 papiers (soit 10.000 signes), dans une page de format tabloïde, ce qui donnerait pas moins de 5.000 pages de textes. Soit l’équivalent de 210 numéros pour un journal de 24 pages, sans photos, sans publicité et sans gros titres !
[2] Organisée par le Syndicat d’Initiative et de Tourisme (SIT) dirigée alors par Abdelkader Benderdouche, frère ainé de Djelloul Benderdouche, maire de Mostaganem.
[3] Secrétaire général de l’USFP Marocaine (Union Socialiste des Forces Populaires), le parti d’opposition du grand militant tiers-mondiste, Mehdi Ben Barka.
 [4] L’Unité, un hebdomadaire d’une grande qualité, organe de communication et de propagande de l’UNJA est sans doute l’organe de presse quia le plus écrit sur le festival de théâtre de Mostaganem. La plupart des journalistes de cette époque, qui feront le bonheur des médias plus tard, auront fait un passage besogneux par cet hebdomadaire.
[5] Le studio Milor d’Abdelkader Mahmoudi y occupa une place centrale. Pour avoir travaillé à la fois dans le reportage et dans la partie laboratoire, je sais combien les festivaliers étaient heureux, une fois le spectacle donné, de passer le matin acheter les images prises durant la nuit. Avec Mokhtar Atrouche, nous passions la nuit à traiter les films et à faire les tirages et les planches contact. Coté photographes professionnels, il y avait Rachid Dehag, A Bensafa de La République et Lazhar Mokhnachi d’Algérie Actualité.
[6] La RTA (Radio-diffusion Télévision Algérienne) était représentée par des journalistes de la radio (Chaine I et Chaine III) et par la television qui aura enregistré plusieurs éditions tant au niveau du stade Benslimane, de la salle Afrique qu’au niveau de l’ITA.
[7] Tahar Djaout nait le 11 janvier 1954 à Oulkhou, commune d'Aït Chafâa. Il était à la fois écrivain, poète, romancier et journaliste algérien d'expression française. En 1993, il fut la première cible de la décennie noire. Après un long coma, il rend l’âme le 2 juin 1993 dans un hôpital algérois. Il avait à peine 39 ans. Il a fait ses premières armes de critique au festival de Mostaganem qui servait alors de laboratoire à la plupart des journalistes algériens.
[8] Ce réfugié politique Marocain, membre  de l’UNFP de Ben Barka travaillait pour la presse arabophone, Ech-Chaab et plus tard El Djemhouria.
[9] Le CRAC de Constantine est la troupe qui donna au festival, dès la seconde édition, son caractère national. Venus dans un vieux bus, les sociétaires du CRAC, avec un certains Abdallah Hamloui, mettront pas moins de 17 heures pour faire le trajet jusqu’à Mostaganem.
[10] Prolet Kult
[11] Voici une liste non-exhaustive : Abdelkader Djemaï, Mohamed Balhi, Kémal Bendimered, Nadjib Stambouli, H’mida Layachi, Arezki Metref, Ahmed Cheniki, Paul Balta,  Kosseï Salah Derouiche, Hamid Bouchdjakji, Mustafa Chelfi, Med Ali Lahouari, Tayeb Bouamar, Allaoua Djeroua, Benachour Bouziane, Mohamed Zaoui, Abdelkrim Djilali, Brahim Hadj Slimane, A. Bousserouel, Benbaghdad, et l’incontournable Hamdène Belouassouassi, qui était le correspondant local de l’APS.

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